Transformer l’entonnoir en haut-parleur : une manière d’inverser la stratégie de masse

L’humanité a tendance à donner des termes et à catégoriser les personnes qui partagent un certain intérêt commun. Dans ce sens, le terme marché a été créé pour matérialiser un lieu physique ou virtuel où se rencontre une offre de produit ou de service et une demande d’achat et qui se résulte par un échange de produit ou de service contre une monnaie de valeur. 

Naturellement, un échange nécessite forcément une ou plusieurs parties prenantes : acheteur et vendeur mais aussi un objet d’échange régulé par une institution et dont la valeur est avérée.  

Cependant, le concept de marché est dynamique. Les parties prenantes peuvent changer d’intérêt, la monnaie d’échange peut connaitre une dépréciation, l’offre et la demande peuvent chuter voire disparaitre.

En effet, ce qui fait qu’un marché soit significatif repose sur une croissance exponentielle de la demande et de l’offre dans un environnement régulé à travers une monnaie d’échange stable et dont la valeur est indéniable et convertible.

Autrement dit, c’est vous en tant que clients qui donnent au marché son pouvoir. Plus vous vous intéressez à une offre de produit ou de service (la demande), plus le vendeur/prestataire augmente son part de marché grâce à l’argent que vous lui donnez et, par conséquent, plus la valeur économique du secteur dans lequel il évolue augmente.

Le fait que beaucoup de personnes aimeraient avoir ou achètent des IPhone permet à l’entreprise de produire plus et de générer plus de revenus. Réciproquement, certains achètent des Samsung, d’autres des Huawei, etc. Toute cette polyvalence de l’offre et le pluralisme de la demande contribue de manière exponentielle à la croissance économique du marché des technologie des télécommunications.

Cette croissance, bien qu’elle soit dépendante de la qualité, du prix et de la disponibilité, résulte fondamentalement de la combinaison de ses trois critères avec le marketing ; l’art de présenter le produit d’une certaine manière au public pour décrocher leur attention et éventuellement le besoin d’acheter. 

Tout le monde fait du marketing de nos jours parce que tout le monde vend quelque chose. L’accès à un large éventail d’audience est plus facile que jamais et l’offre ne cesse d’augmenter comparée à la demande. L’entrepreneuriat ou plutôt le business est le nouveau centre des centres d’intérêts.

De haut-parleur en entonnoir

En effet, le recours pour beaucoup quand il s’agit de marketing est la stratégie de masse. Elle consiste à allumer son haut-parleur, crier le plus fort possible en espérant d’être entendu, puis transformer le haut-parleur en entonnoir pour prospecter et filtrer ceux ou celles qui s’intéressent à l’offre, négocier et espérer qu’au bout de l’entonnoir, à la fin du filtre, on aura éventuellement des clients acheteurs.

Haut-parleur

Le souci est comment elle peut marcher si tout le monde a un haut-parleur ? Si tout le monde crie et que chacun et chacune essaye de vendre l’autre ? Que devient une société si tout le monde devient vendeur ? Que devient un filtre si tout à coup il doit filtrer tout ?

J’ai peur qu’on soit dans cette situation. Et avec l’abondance des offres et l’explosion du e-commerce, le bruit des micros devient de plus en plus du charabia et le filtre ne reconnait plus quoi ou qui filtrer.

Résultat, il est très difficile d’avoir un échange authentique et transparent si chacun d’entre nous est entrain de soutirer quelque chose de l’autre ? Ce qui importe pour beaucoup c’est de participer dans le charabia et de faire semblant d’écouter avant de contrecarrer.

La stratégie de masse n’est pas nouvelle. Sa forme a bien changée au fil des années mais le principe est resté le même. Dans les années glorieuses, durant la révolution industrielle, la stratégie marchait parfaitement pour les grandes entreprises sachant que la demande était supérieure à l’offre et la concurrence n’était pas aussi rude qu’elle est aujourd’hui. 

Il y avait un nombre limité de concurrents dans chaque secteur. C’était Ford dans le secteur automobile, Coca-Cola dans le secteur des boissons, IBM dans le secteur des ordinateurs, Total dans le secteur du pétrole, etc. Elles étaient toutes des pionnières dans leurs domaines respectifs. Elles payaient des sommes colossales en marketing pour générer de l’attention autour de leurs produits uniques sur le marché à travers des annonces radios, affiches, spots TV, sponsors, etc.

Le principe de la stratégie se résumait à faire hurler les personnes physiques et morales qui ont des haut-parleurs (très minimes à l’époque) et une certaine influence sur les masses par rapport à leurs produits : « Dites-leur qu’on existe et on est le meilleur sur le marché sur ce que nous faisons et c’est la raison pour laquelle les meilleurs athlètes et stars de la planète travaillent avec nous et nous représente ».

Une fois que les personnes d’influence approprient ou représentent un certain produit, une nouvelle culture ou tendance est créée. Indirectement ou directement, nous ne voulons pas être oubliés par le train des cultures et des tendances. De ce fait, nous copions ce que la majeure partie des personnes font et souvent sans justificatif. Apparemment, personne n’aime se sentir marginalisée.

Ainsi, la stratégie de masse marchait-elle parfaitement. Ce n’est pas magique si Air Jordan ou Coca-Cola est connu pour tout le monde y compris les milléniaux. C’étaient des produits de première sur le marché, portés par les plus lourds haut-parleurs de l’époque et produits par de grandes entreprises avec des ressources financières illimitées ?

Cette stratégie de jadis est copiée d’une certaine manière sur le marché d’aujourd’hui. Le monde numérique est le nouveau marché. Nous parlons avec des écrans numériques plus que nous parlons entre-humains. Nos téléphones, nos ordinateurs sont devenus à la fois des panneaux publicitaires, des radios, des télés et encore plus que ça.

En conséquence, les marketeurs préfèrent s’attaquer à vos objets intelligents pour attirer des prospects par le biais de campagnes digitales qui sont de plus en plus fréquentes. Le principe reste le même : hurler le plus fort possible avec son haut-parleur en espérant d’être entendu par un potentiel prospect.

Le contexte du marché d’aujourd’hui a drastiquement changé. L’offre est supérieure à la demande. Dans chaque secteur, il existe de nombreux concurrents qui font la même chose, même nature de produit et/ou de service. La seule chose qui diffère c’est le nom du produit ou du service.

Quand tel est le cas et que tous les micros pointent vers la même direction, il devient très difficile d’être entendu, très compliqué d’entendre ce qui se dit et presque impossible de déceler qui est authentique et qui ne l’est pas.

Que ce soient les Google Ads, les Facebook Ads, les YouTube Ads ou les partenariats sponsorisés avec des influenceurs, etc. Ce sont tous des outils de marketing de masse mais ciblés. Vous décidez littéralement les tranches d’âges, les secteurs d’emplois, les zones démographiques qui ont la plus forte probabilité de s’intéresser à vos produits et vous les ciblez moyennant une certaine rémunération par click et par nombre de vues que vous payez à Google, YouTube, Facebook, etc.

Les campagnes digitales coûtent une fortune.  Ce qui est tout à fait logique sachant que des centaines de millions de vendeurs sont en compétition pour gagner l’attention d’un nombre très limité de prospects qui peuvent aussi devenir à leur tour de potentiel vendeurs. Aucune contrainte sur quoi que ce soit !

Comme vous pouvez l’imaginer, la guerre est rude et souvent les géants ou les plus aptes financièrement gagnent la bataille. A moins que vous inventiez un nouveau produit ou service qui crée tout une nouvelle demande ; première catégorie de son genre et qui va bouleverser complètement tout un marché comme l’a fait Netflix, Tesla, etc.

Beaucoup de vendeurs, malgré leurs haut-parleurs pointés sur tous les angles des réseaux sociaux, ont un taux de conversion très faible (nombre de visiteurs qui finissent par commander et devenir clients comparé au nombre total de visiteurs) pour une simple raison que l’abondance est le chemin le plus rapide vers la banalité.

D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle les marchands ambulants changent d’itinéraire ou de trajets d’un jour à l’autre car ils comprennent qu’il y a une faible probabilité que leur message soit écouté ou leur produit soit acheté s’ils passent par le même canal, même chemin avec le même produit ou service qui existe déjà en pagaille sur le même chemin, même canal.

Les marketeurs confondent souvent l’attention avec le besoin. En réalité, l’entreprise ou le particulier crée le besoin (produit ou service) puis fait du marketing pour générer de l’attention autour du produit.

Le marketing procure de l’attention mais pas forcément des achats. Plus l’entreprise consacre un budget très important au marketing, plus elle génère de l’attention autour de ses produits et services. Une attention qui peut se traduire par un ordre d’achat ou tout simplement par une visite sur votre site et aucune commande.

L’efficacité d’une campagne de marketing dépend de l’engagement financier de l’entreprise. Combien elle est prête à payer ? Netflix a dépensé un budget de 2.65 milliards de dollars en marketing en 2019, 4 milliards de dollars pour Coca Cola, 2,33 milliards de dollars pour Ford. [1]

Presque la moitié du PIB du Sénégal en 2019.

Contrairement aux géants, l’argent est un patrimoine précieux que certains vendeurs ou prestataires ne peuvent pas se permettre de perdre, surtout pour les PME, les start-ups, les freelances, etc. Investir des millions ou des centaines de milliers de francs sur une campagne digitale ne semble pas stratégique si votre économie est limitée.

Je peux en témoigner par expérience. Prenons un exemple pour démontrer comment la stratégie de masse peut être mauvaise et coûteuse pour une Petite et Moyenne Entreprise.

Si vous payez 200 000 FCFA pour une campagne digitale dans laquelle votre cible est de 10 000 personnes avec une tranche d’âge comprise entre 18-35 ans sur une zone géographique bien déterminée.  Si le nombre de clients réels acquis à la suite de cette campagne est estimé à 10 clients. Ce qui veut dire que votre coût d’acquisition clientèle est égale à 20 000 F.  Autrement dit, vous dépensez 20 000 F pour acquérir un client acheteur.

Ce coût est complètement différent de la Valeur Vie du client qui correspond à l’ensemble des bénéfices générés ou issus du client tout au long de son parcours clientèle. Si on reprend le même exemple, un client qui achète de vous une montre ou une sandale en cuir par exemple à 10 000 FCFA et qui ne revient plus alors que vous avez déjà dépensé 20 000 Fcfa pour l’acquérir en termes de coûts de marketing constitue une perte pour votre entreprise.

Valeur vie du client < Coût d’acquisition client = Perte

Ce même raisonnement peut expliquer pourquoi Jumia a diminué soudainement et drastiquement ses publicités dans les réseaux sociaux. Bien que ses annonces soient vues par des millions de personnes, le nombre de visiteurs qui se transforment réellement en clients acheteurs est minime. Le retour financier ne justifie pas le coût déployé. Par conséquent, elle continue sa chute mortelle.

Orange Money a la plus grande part de marché du porte-monnaie numérique et du système de transfert d’argent. Il a dépassé Wari. Les autres concurrents peinent à survivre (Cash Cash, Wave, Wizall, Tigo Cash, etc.) Pourtant, elle n’est pas la première à intégrer le secteur. Wari l’est.

Malheureusement, le pouvoir financier d’Orange a joué un rôle important dans le processus de persuader les sénégalais que leur service est mieux. Même si Wari avait le meilleur rapport qualité/prix, le résultat de la course serait le même. 

Maintenant, imaginez voir les Tigo Cash, Cash Cash, Wizall, et autres suivre la même trace qu’Orange. Il y a de fortes chances qu’ils brûlent leur cash avec peu de retour sur investissement.

Quelle autre alternative adopter ?

Transformer l’entonnoir en micro et tendez le micro aux autres

Bo Burlingham a écrit un brillant livre intitulé ‘’les petits géants’’. Il articule comment des centaines de Petites et Moyennes Entreprise ont su adopter des stratégies spécifiques loin du marketing de masse, de la quête de l’attention ou cette urge de devenir géant. Elles ont réussi à exister pendant des décennies et elles continuent d’exister avec une communauté de fidèles clients qui croient à elles et aux produits qu’elles vendent. [2]

Entonnoir
Haut-parleur

La sauce magique n’est pas si compliquée. Au lieu d’hurler avec les haut-parleurs et de filtrer les masses avec des entonnoirs par l’espoir de décrocher des clients, ces petits géants ont inversé la stratégie de masse.

D’abord, dès le départ, elles décident directement d’aller vers les potentiels prospects qui sont dans leur environnement immédiat pour recueillir leurs besoins et leurs suggestions sur un prototype ou un nouveau programme sur lequel l’entreprise travaille ?  

Dans la stratégie de masse, non seulement on retrouve ses prospects en aval après qu’on ait dépensé notre budget mais le fait de cibler tous donnent l’impression qu’on existe pour tous ; une affirmation rarement véridique.

En revanche, dans la stratégie inversée, on découvre très tôt quelle niche et quelle catégorie de personnes on aimerait servir, quelles sont leurs besoins, leurs problèmes, leurs inquiétudes. La démarche commence avec eux. On se concentre sur eux et on néglige le reste.

On ne cherche pas des likes sur les réseaux sociaux. Au contraire, on construit une relation de confiance et surtout humaine basée sur comment je peux vous servir contrairement à la démarche de ‘’je vends des produits et comment je peux vous vendre quelque chose, peu importe la chose’’.

Avec la stratégie inversée, l’entreprise n’a plus besoin de filtre. Elle a déjà les personnes qui comptent pour elle et sait comment les satisfaire parce qu’elle les a intégré dès le départ dans le processus de conception de l’offre.

Contrairement à la stratégie de masse conçue pour des clés (offres) qui passent leurs temps à chercher des verrous à ouvrir (demandes).

Il est tout à fait humain et peut être il existe une corrélation biologique derrière ce constat de voir une personne défendre corps et âme et à tout prix ce qu’elle a bâti ou ce dont elle a contribué à bâtir.  Le patriotisme par exemple suit le même raisonnement.

On est redevable à notre pays parce qu’il nous a donné une opportunité et le pays nous est redevable parce qu’on y a contribué. Et c’est cette bataille éternelle entre les deux extrémités qui maintient vivant le sentiment du patriotisme.

La stratégie inversée n’est pas si différente. Ce groupe restreint de prospects ou de clients avec qui vous avez noué un contrat de service et de satisfaction va à son tour faire de son mieux pour passer le mot à leur amis, entourage et autres. De même qu’un citoyen modèle va parler bien de son pays.

En conséquence, cet acte même matérialise la transformation de l’entonnoir en un haut-parleur. Pratiquement, le groupe devient votre haut-parleur gratuit, organique et authentique qui transfert des ondes de satisfaction calmement aux oreilles des personnes et par les personnes qui comptent.

C’est avec cette stratégie inversée que les petits géants réussissent à pérenniser leur business et se soulager des tourments de scalabilité et de croissance.

Aussi simple qu’elle soit, beaucoup d’organismes, de vendeurs, de prestataires ont du mal à l’appréhender. Peut-être, Ils préfèrent le charabia sur le silence, la compétition sur le partenariat, la complexité sur le sophistiqué.

Savez-vous le budget de marketing de Tesla ? c’est 0$. Pas de publicité, pas d’annonces, pas d’influenceurs. Une voiture électrique première de son genre faite pour des personnes spéciales (celles qui tiennent au réchauffement climatique et leur emprunt écologique).

Je connais des personnes qui vendent des cookies et des cakes faits maison. Elles gagnent leurs vies avec leur petit business en suivant la stratégie inversée. Elles ont commencé à en faire pour leurs familles puis leurs cousines, leurs camarades de classe puis leurs collègues de travail.

 Aujourd’hui, elles en font un nombre important par jour pour leurs clients uniques qui ne cessent d’utiliser leur influence pour leur attirer plus de clients. 0 budget de marketing, un bon produit fait exclusivement pour un nombre restreint de personnes gourmandes et engagées.

Le livre Bestseller ‘’Père riche, Père pauvre’’ a vendu des centaines de millions d’exemplaires à travers le monde grâce à des personnes qui valorisent le contenu du livre et le recommande à leurs amis, proches qui a leur tour le recommande aux autres à tour de rôle.

J’utilise personnellement la même stratégie avec mon blog. Mon objectif est de donner de nouvelles perspectives fondées sur des bases et modèles éprouvés en espérant que ça va servir quelqu’un. Je cherche à inspirer et à donner de nouvelles perspectives.

L’objectif est de servir. Si certains en trouvent leurs conforts, c’est bien. Si d’autres n’y trouvent pas leur intérêt, c’est bien aussi. Qui suis-je pour obliger tout le monde à lire mes articles ?

Rappelez-vous, la finalité est de faire un produit ou service qui ajouterait de la valeur dans la vie d’un groupe de personne. Puis, laissez les vies que vous avez impactées deviennent votre porte-parole dans le monde extérieur. Vouloir vendre tout le monde résulte souvent par perdre tout le monde.


Références

[1] www.statista.com publie des statiques sur les dépenses et revenues des plus grandes entreprise

[2] Le livre  » Les petits géants : les organismes qui préfèrent être génial plutôt que grand » écrit par Bo Burlingham; Penguin Group, New York, USA., 2005.

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