Tiraillé entre l’envie de se plaindre constamment comme un français et le devoir de reconnaissance vis-à-vis de toutes les belles opportunités que Dieu a placé sur mon modeste chemin, je me retrouve souvent confus et espéreux, anxieux et réconforté, triste et faux-semblant. Pour être honnête, je suis pris dans la tourmente. Et la seule bouffée d’oxygène qui me reste est la foi et l’espoir.
À la date du 28 avril 2023, j’ai quitté Dakar en direction de Paris pour s’y installer désormais en tant qu’impatrié talent. Pour combien de temps je compte rester, je ne sais pas encore. Ce qui est sûr, c’est que l’idée cinématographique, artistique, glamouresque et jaillissante que je me faisais de la ville des lumières est complètement distancée de la réalité.
Je croyais venir dans une ville parisienne remplie de gens bienveillants, chaleureux, accueillants, ouverts d’esprits et surtout tolérants. Cependant, je suis tombé sur une culture basée sur l’aigreur, la complainte ridicule et le manque de reconnaissance.
Loin de moi de généraliser et de mettre tout le monde dans le même panier, le ratio de nombre de plaintes et de réclamations par minutes des français et des parisiens spécifiquement bat tous les records du monde à mon humble avis. Je n’ai jamais vu un peuple qui a tout et malgré tout s’en foute complètement.
Donnons un peu de contexte. Je suis né à Kaolack à 200 Km de Dakar dans une famille de classe moyenne d’immigrés. On était loin d’être riche. On avait le juste nécessaire : de quoi porter, de quoi manger, du toit dallé sur nos têtes et de quoi payer nos études dans des écoles privées. Tout cela grâce au sacrifice de nos parents. Sachant bien qu’on était entouré de tout bord par la pauvreté relativement extrême de notre voisinage. Tout ceci nous rendait super chanceux et reconnaissants.
Ce contraste réaliste de la vie nous donnait de nouvelles perspectives à savoir la double chance unique de faire partie parmi les vivants (il aura fallu que le spermatozoïde qui nous donne vie gagne une course contre 20 à 250 millions d’autres congénères, pour rencontrer cet ovule en particulier et donc : la probabilité d’être en vie est de 1 sur 10^2 685 000 d’après le docteur Ali Binazir qui est arrivé à ce calcul de probabilité de notre existence.) et celle de la famille. Toutes les deux sont quasiment en dehors de notre contrôle même si nous avons tendance à les prendre pour acquis.
Par la magie de l’univers, on s’apprenait de l’un à l’autre et on se complétait. Le voisin nous partageait des sacs de mil de sa récolte, l’autre était une famille religieuse que tout le quartier sollicitait en cas de récitations et de prières moyennant une charité de reconnaissance, d’autres étaient des charpentiers, menuisiers, maçons et soudeurs. Le mix parfait. chacun se dépendait de l’autre et se respectait à sa juste valeur.
En tant qu’enfant, cette complicité sortait aussi dans l’aire de jeu. Même si j’avais plus de jouets que tous les autres enfants du quartier, j’ai appris très tôt dans la vie que ça ne sert à rien de jouer tout seul. Le fun se trouve dans le partage et la camaraderie. Et si tu veux que les autres viennent jouer avec toi, t’as intérêt à montrer ta capacité à partager et à laisser libre cours au jeu sans entrave ni complication.
Les dynamiques relationnelles commencent déjà dans l’aire de jeu. A chaque fois que j’ai arrêté le jeu et pris mes jouets par le simple fait qu’ils m’appartiennent ou parce que j’ai perdu, le reste du groupe arrêta, en conséquence, de venir dans mon aire de jeu (instinctivement c’était leur manière de démontrer que je ne suis pas digne de confiance).
Après tout, à quoi ça sert d’être seul dans son délire. J’étais obligé après de courir derrière ces mêmes enfants pour les amadouer et les convaincre encore que je suis digne d’un partenaire de jeu. Il fallait que je pose des actes concrets pour regagner leur confiance.
Par conséquent, j’ai appris très tôt que les relations sont le médium par lequel une valeur est échangée entre deux parties intéressées. j’ai des jouets et pour cette raison les autres enfants ont envie de jouer. Parallèlement, je n’ai pas envie de jouer tout seul donc j’invite les autres dans mon aire de jeu. Les autres participent parce que les conditions sont réunies et les règles de jeu sont explicitement ou implicitement définies. Résultat, nous sommes tous gagnants.
Au fil des années, j’ai parcouru mon cher pays le Sénégal, je suis allé dans des villages ou les conditions de vie étaient très difficiles et précaires : absence d’électricité, des dispensaires de santé quasi-vides de matériels et d’outils, un réseau d’assainissement au modèle de moyen âge, l’eau du robinet fluorée et super salée et j’en passe.
Ces gens avaient toutes les raisons d’être aigries, mécontents et ingrats. Et pourtant, ils étaient les plus heureux et les plus simplistes. ils étaient suffisants et reconnaissants de leur peu. Ils n’avaient pas le luxe de la dépression, de l’anxiété, de mid-life crisis (crise de quarantaine) du fait que toute petite simple chose, normalisée dans l’occident, se méritait par la sueur et l’effort acharné.
Cependant, à l’occident, malgré qu’ils aient accès à tout à la portée de leur petit doigts, le niveau de dépression, d’anxiété et de solitude est au summum. Personnellement, j’ai assisté à trois incidents de voyageurs sur Paris dont la cause était un suicide (une personne qui décide de sauter dans les rails pendant que le train passe pour mettre fin à sa vie).
Je ne comprenais pas au début la pertinence ni l’importance d’avoir des vitrines blindés qui s’ouvrent automatiquement au quai des métros en région parisienne. La réponse est évidente.
Je pense au plus profond de moi-même que la mentalité d’abondance n’a aucune relation avec l’opulence ou la richesse. Ce que j’ai appris avec le temps est que nous Africains, qui avons grandi et vécu dans des conditions difficiles, prenons la vie comme un cadeau, un présent qui nous a été accordé alors que les pays développés font face à un tournant majeur et d’habitude considère l’existence comme un fardeau accablant et une équation à résoudre.
La différence entre les deux manières de voir le monde est très diamétralement opposée.
Par exemple, si jamais vous vous retrouvez au milieu du Parc DisneyLand entouré de personnes de backgrounds différents qui sont venus pour partager la même expérience, cela sous-entend que vous avez dû avoir un ticket pour entrer au parc car tout un mécanisme de contrôle, de checkpoint, de vigiles et de staff sont mobilisés pour s’assurer qu’uniquement les personnes avec des tickets valides puissent entrer.
A quoi ça sert de poser la question à savoir qui m’a donné le ticket ou est-ce que mon ticket est valide ?
Bon sang. Vous y êtes déjà. vous êtes vivants. Regardez autour de vous et profitez-en. Dites-vous que vous y êtes déjà. C’est un cadeau qui vous est offert. Aucun mérite ne peut justifier un cadeau parce qu’il n’est pas une récompense. C’est tout simplement un geste noble et généreux que quelqu’un fait pour le compte de quelqu’un parce que tout simplement il a envie de le faire ou il juge que l’autre le mérite. c’est au donneur de juger si vous le méritez ou pas.
Et le fait qu’il vous le donne, cela sous-entend que vous le méritez déjà. Heureusement que les choses sont faites ainsi. Si on devait vraiment mériter ce cadeau de la vie, que pourrions-nous faire dans notre existence pour payer cette dette à celui qui nous a donné l’opportunité d’exister ? Pas grand chose. Absolument rien.
Au moins, vivez en harmonie. Visitez le parc, profitez de l’expérience, soyez un facteur simplificateur et contributeur. Et au pire, ne gaspillez pas l’expérience des autres.
Cette analogie peut sembler terre à terre pour beaucoup mais vraisemblable dans la tête de ceux et celles qui contemplent leur dure réalité tout en continuant de s’en être reconnaissant de faire partie de cette expérience humaine malgré tout. Cette mentalité, elle est moulée en nous dès le bas âge en tant que Sénégalais. Combiné avec la foi et l’espoir, il devient évident pourquoi le fait de se plaindre tout le temps est considéré comme un acte d’ingratitude chez nous.
Tous les maux sociétaux que traversent la nouvelle génération dans l’occident peuvent être résumés par la citation de Ibn Khaldoun : « Les temps difficiles créent des hommes forts. Les hommes forts créent des périodes de paix. Les périodes de paix créent les hommes faibles. Les hommes faibles créent des temps difficiles.».
Nous sommes passés d’une génération qui a connu la Première Guerre mondiale ensuite la deuxième, les années glorieuses de reconstruction et de développement pour donner naissance à des guerriers d’écrans et de claviers qui préfèrent chercher la validation des inconnues que d’être sociétalement utile. Résultat de la course, des hommes faibles perdus et en quête de sens.
Honnêtement, je compatis avec eux. Parfois, je suis ébahi de leur naïveté. Je suis allé à une date avec une femme il y a quelques semaines. Durant notre échange pour faire connaissance, elle m’a fait savoir son souhait de ne pas faire d’ enfants. Un choix que je respecte. Chacun sa vie et qui suis-je pour juger les autres. Peut-être qu’elle a des soucis de santé.
Quand elle a continué à expliquer pendant longtemps toutes les raisons qu’elle ne voulait pas d’enfant à savoir les pleurnichements des bébés, la dérégulation hormonale pendant la grossesse, les sacrifices à consentir dans les premières années, le manque d’intimité désormais avec son partenaire quand les enfants sont là,…….etc.
Mes yeux étaient froncés et mon visage complètement sidéré. Elle croyait fortement qu’une vie remplie et bien vécue est celle exempte de toute souffrance et de tout sacrifice. Ce qui est un point de vue réducteur et extraordinairement naïf du monde.
Entre son oubli volontaire que si ces parents n’avaient pas fait ce sacrifice, elle ne serait pas là entrain de parler en tant qu’un être sain, que tout l’univers se complote pour lui donner un écosystème qui lui permet de survivre, qu’elle croit que tout cet écosystème équilibré est le fruit d’un chaos et de la souffrance de quelque chose ou de quelqu’un.
Je ne saurais pas comment ranker ces différentes hypothèses en termes de naïveté.
Au lieu d’entrer avec elle dans 1000 raisons sur l’importance du sacrifice et de la souffrance utile, je lui ai répété la fameuse citation de Nietzsche : “ Vivre, c’est souffrir. survivre, c’est trouver un sens à sa souffrance ”
Après tout, la souffrance est ce cadeau que personne ne veut ou réclame. Et pourtant, tout le monde finira par avoir sa part. Sûrement et certainement.
Je ne le souhaite à personne. J’aurais aimé que les gens soient plus outillés à souffrir utilement que de sombrer à force de la fuir ou par la souffrance inutile.
Dans cette ville de Paris, la ville de la lumière, je reconnais que je n’ai pas encore décodé le code. Je prends toujours mes repères. Tous les jours, je suis ébahi à la fois par des moments positifs et négatifs comme toute grande ville au monde.
Peut-être que je finirai par comprendre la magie de la ville. En attendant, plus d’humanisme, de bienveillance et de gentillesse ne ferait de mal à personne.