« S’inspirer à inspirer avant d’expirer. » Cette citation résonne souvent dans toutes mes interventions comme le tic-tac d’une horloge et représente l’essence et le pilier qui tient et supporte toutes les branches de ma modeste vie.
En réalité, je suis loin d’être son auteur. Sa simplicité regorge beaucoup de complexités. Beaucoup s’identifient avec le mot « inspirer » mais peu s’exaltent dans l’idée d’expirer. Pourtant, elle est inévitable.
« Si la vie peut être joyeuse, la mort devrait l’être aussi. Toute transition est douce pour celui ou celle qui a rempli ses devoirs. » disait ma grand-mère.
Mame Fatou LO
Mame Boy, comme on l’appelait, était l’emblème de l’humanisme, le symbole du courage et l’épitomé de la bienveillance. Je me rappelle bien mes premiers souvenirs d’enfance furent de la voir nourrir les talibés, les sans-abris mais aussi donner en cadeau ses propres vêtements en cachette pour une voisine qui avait un baptême et n’avait pas de quoi porter.
Juste après, elle me regarda droit dans les yeux, gamin que j’étais, on dirait elle parlait à son égal « Abib, En tant qu’ humains, nous n’avons que notre dignité. Nous sommes tous venus dans ce monde nu mais nous le quitteront couverts. Ne jamais daigner ôter la dignité de l’homme. C’est ce qui le rend humain. sois discret dans la gentillesse. »
1999, pour la planète entière, ce fut la fin d’un siècle. Pour mon âge tendre, ce fut le début d’un cycle, le premier pas dans un parcours d’homme qui semble éternel et laborieux. Ce jour-là, Mame me réveilla tôt. Ce fut le jour où l’enfant devait quitter les siens pour aller à l’internat.
Les yeux embués, le cœur triste et la main tremblante, elle déclama « Pendant 6 ans, nous t’avons donné ce que nous avions et ce que nous n’avions pas. Nous avons tenu tes deux bras quand tu jouais, dansais pour éviter que tu tombes sur le visage. Fini l’innocence, l’insouciance et le libre parcours. A partir de maintenant, nous te donnons l’opportunité de réfléchir, d’échouer et de galérer. Tout cela pour qu’à la fin tu puisses comprendre que nous sommes tous là dans ce monde pour faciliter la vie des autres et contribuer utilement à travers le travail acharné et l’obédience. »
« Il n’a que 06 ans et tu lui parles comme un adulte » dit ma mère. Mame rebondit « Il s’en souviendra. Cette éponge que tu vois là a absorbé l’eau qui se trouvait sur son chemin et il suffit qu’on marche dessus pour qu’elle purge tout ce qu’elle a engorgé ».
Les années passèrent, le crépuscule de la vie et la sénescence envahirent sa corpulence mais son sens du service n’a pas diminué d’un iota. En juin estival de 2007, j’ai appris la mauvaise nouvelle. Mame est atteinte du diabète à un stade très élevé qui ronge ses fibres musculaires et déstabilise son système métabolique. Au niveau de sa jambe droite, une plaie s’est surgie. Elle était souvent dans une douleur atroce. Intraitable et putréfiante, elle fut amputée pour éviter la propagation.
Même face à cette galère et cette douleur intense, Mame continuait de nourrir tous les jours les talibés du quartier, hébergeait des enseignants et maîtres coraniques et partageait tout ce qu’elle avait avec tout le monde. Et quand j’essayais de la sermonner sur l’idée de la planification, de l’avenir et de la préservation, elle me disait «OH Abib, tu parles comme si l’avenir est garanti. Tout ce dont je n’ai pas besoin aujourd’hui je le donne gracieusement sans équivoque car demain appartient à Dieu. »
De 2007, après son opération réussie jusqu’en 2015, Mame ne cessait de me parler de la mort. Cependant, je trouvais le sujet de la mort abstrait, lointain et difficile à imaginer. « Adouna amoul solo waya tamitt niakoul solo ou la vie n’est rien mais rien ne vaut la vie » elle me répétait souvent cette phrase. Peut-être parce qu’elle sentait mon air ambigu et ambivalent à chaque redondance.
Décembre 2015, une nouvelle plaie surgit sur son autre jambe. Et le malheur a encore sonné. Pourquoi elle ? C’est Mame ! La femme la plus pieuse. Pourquoi elle ? exclamai-je devant Dieu
Mame sourit « C’est une bénédiction d’être testé. Je me mets devant le destin divin. Je me suis préparé toute ma vie pour une fin inconnue. Cette fin me semble proche et ainsi va la vie »
Quelques jours après, durant l’opération, Mame a perdu connaissance et depuis elle ne s’est jamais réveillée. Son esprit, cependant, plane toujours au-dessus de nous et elle continue d’être une source de sagesse et un horizon de contemplation.
Chers lecteurs ,
Il y a quelque chose de plus fort que la mort. C’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. Finalement, j’ai compris ce que voulait dire Mame Boy par : « la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ». Pendant que nous y sommes, inspirez avant d’expirer.